mercredi 18 juillet 2012

Audrey aux Inrocks ? et pourquoi pas Valérie à Match ! 

En 2006 Arnaud Montebourg demandait avec force la démission de madame Borloo, plus connu sous le nom Béatrice Schonberg, présentatrice du journal de France 2, qui avait finalement été écartée en 2007.


Aujourd'hui, c'est différent ?

Laissons Jean Quatremer nous expliquer où est le problème.

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2012/07/une-connivence-normale-.html

Une connivence « normale »

Original.51751.demiOn l’a appris hier : Audrey Pulvar a été nommée à la tête de la rédaction de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles, propriété, depuis 2009, du banquier d’affaires (associé-gérant chez Lazard) Matthieu Pigasse, par ailleurs actionnaire du Monde et de la version française du site Huffington Post. Cette nomination n’a pas fait les gros titres de la presse et pourtant elle pose encore une fois, au-delà de ce cas particulier, la question des relations entre les médias et le pouvoir, sujet de mon dernier livre (« Sexe, mensonges et médias », Tribune Libre, Plon). Car Audrey Pulvar est la compagne d’un ministre en exercice, en la personne d’Arnaud Montebourg, le ministre du « redressement productif ».

France Inter et France 2, les deux médias dans lesquelles elle officiait, ont pris conscience qu’un journaliste ne pouvait être ainsi lié à un politique et l’ont donc écarté de leur antenne (voir ici le récit de mon twettclash avec Audrey Pulvar). Cela étant, le service public, dirigé par des personnalités directement nommées par Nicolas Sarkozy, aurait pu lui proposer une émission où ses talents (non journalistiques) auraient pu être employés. Une autre solution aurait été que Montebourg renonce à sa carrière politique, mais de cela il n’a jamais été question. Matthieu Pigasse, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn lorsque celui-ci était ministre des Finances (1997-1999) et dont l’engagement socialiste n’est pas un mystère, n’a manifestement pas les scrupules du service public, comme le montre sa décision d’embaucher Pulvar. Il ne s’agit pas d’un acte manqué : il y a quelques mois, il n’a pas hésité à nommer à la tête du Huffington Post Anne Sinclair, l’épouse de DSK et ancienne « star » du journalisme, ce qui a été vécu par la profession comme une provocation. Certes, celle-ci s’est depuis séparée de son mari, ce qui lui redonne une certaine liberté, mais à l’époque de sa nomination, ce n’était pas le cas.
Matthieu-pigasse.1277870565Le message qu’envoie Pigasse (photo), ce nouveau « Citizen Kane » de 43 ans (qui, selon les rumeurs, serait intéressé par le rachat de Libération et est donc susceptible de devenir un jour mon patron), est terrible pour la presse française : il indique brutalement aux journalistes que c’est celui qui possède l’argent qui décide et que les questions d’indépendance et de déontologie journalistique ne l’intéressent absolument pas. Une telle attitude désinvolte ne surprend pas de la part d’un Serge Dassault (Le Figaro) ou d’un Martin Bouygues (TF1), un peu plus de la part d’un homme de gauche qui veut révolutionner le capitalisme (« Révolutions », Tribune Libre, Plon). Que la liaison d’un journaliste et d’un politique (qu’elle soit amoureuse, amicale ou professionnelle) pose un sérieux problème d’indépendance est une évidence.
D’ailleurs, Arnaud Montebourg lui-même l’a souligné en avril 2006, dans Télérama, à propos de la liaison entre Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Emploi, et de Béatrice Schönberg, journaliste à France Télévisions : « il y a un conflit évident d’intérêts. Dans le monde politico-médiatique actuel, ceux qui ont le pouvoir se permettent de piétiner les règles du jeu. Il est temps que cela change ». En novembre 2010, dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2, alors que sa relation avec Audrey Pulvar, est officielle, il ne renie pas ses propos, mais les nuances, en expliquant qu’il n’est « rien », puisque le député PS est seulement candidat à la candidature, alors que Borloo « occupait une fonction très élevée »
Dans un entretien à Libération (le 14 juin 2012), Audrey Pulvar estime que les liaisons entre politique et journalistes (en fait uniquement des femmes à ma connaissance) ne posent aucun problème : « J’ai toujours pris la défense de mes consoeurs, j’ai toujours considéré qu’elles restaient des journalistes indépendantes et qu’il fallait juger sur pièces. À mon avis Arnaud Montebourg a perdu une bonne occasion de se taire ». Elle reconnaît néanmoins que la situation peut vite devenir « intenable ».
Ces conflits d’intérêts sont anciens : il suffit de rappeler qu’en 1992, les journalistes Anne Sinclair et Christine Ockrent, femmes de ministres socialistes, n’ont pas hésité à interviewer François Mitterrand alors président de la République. Mais il est consternant de noter qu’en vingt ans, les choses n’ont pas véritablement évolué : outre le Président de la République (avec Valérie Trierweiler de Paris Match qui possède désormais un bureau et une équipe à l’Élysée), trois ministres vivent à des journalistes (Arnaud Montebourg, Michel Sapin avec Valérie de Senneville journaliste chargé de la justice aux Echos et Vincent Peillon avec Nathalie Bensahel journaliste chargée de la rubrique France au Nouvel Observateur). Or, aucune de ces journalistes ne semble prête à abandonner son métier.
Valerie-trierweiler-nous-dit-toutUn journaliste ne doit garder aucune information pour lui : son travail est de révéler à l’opinion publique ce qu’il sait (ou d’en informer sa hiérarchie). Or, là, nous avons quatre journalistes qui sauront énormément de choses (l’époux ou compagnon raconte, il y a les dîners à la maison ou en ville, etc.), mais qui ne diront rien, ce qui une claire violation de l’éthique journalistique. Et chacun de leur papier ou de leur réaction sera évidemment lu à la lumière de leurs relations avec ces politiques. Le fameux tweet de Trierweiler en a fait la parfaite démonstration : la parole de la compagne du Président de la République pèse d’un poids particulier. Qu’elle écrive sur des questions non politiques ne change rien à l’affaire : si demain les musées nationaux achètent des tableaux d’un artiste dont Trierweiler aura dit du bien, ou si le service public invite un auteur dont elle vante le génie, que pensera-t-on tout à fait légitimement ? Prenons aussi le cas de Senneville qui écrit sur la justice, un domaine qui n’est pas celui de son mari : imaginons qu’elle ait un scoop sur la ministre de la Justice qui va déstabiliser le gouvernement. Va-t-elle le publier sans en parler à son époux ? Celui-ci ne va-t-il pas chercher à la convaincre de ne rien écrire ? Je crois même qu’on n’ira pas jusque-là : l’autocensure jouera à plein. Pas question de mettre en péril le travail de son cher et tendre…
De plus, croire que les journalistes sont des êtres d’exceptions capables de séparer leur profession de leurs affects ou de leurs intérêts est une vaste plaisanterie. Le Point s’est livré, dans son édition du 21 juin dernier à un exercice salutaire : l’hebdomadaire a relu les articles écrits par Trierweiler dans Paris Match, entre 2004 et 2006, alors qu’elle entretenait déjà une relation –longtemps demeurée secrète avant d’être couverte par l’omerta journalistique jusqu’en juin 2007 - avec François Hollande tout en couvrant… le PS (elle en sera déchargée fin 2006, ce qui lui évitera de suivre la campagne de Ségolène Royal). C’est édifiant. Dès 2004, Hollande est peint sous les traits d’un homme qui a l’étoffe d’un président de la République « normal », contrairement à son épouse (qui pourtant se présentera en 2007). Ses adversaires au sein de l’appareil socialiste seront systématiquement dépréciés et le nom de Royal régulièrement passé sous silence… Il vaut mieux, car lorsqu’elle en parlait, ce n’était guère sympathique, on s’en doute.
Il ne s'agit pas de dire que ces journalistes qui protestent de leur bonne foi mentent nécessairement : le conflit d'intérêts ne doit pas forcément se matérialiser pour exister, il suffit qu'il y ait un risque, une possibilité d'une confusion des genres, et que les tiers puissent soupçonner qu'il existe. C'est, par exemple, pour cela, que les professions juridiques sont soumis à un ensemble de règles très strictes pour éliminer tout soupçon. Car, c'est le soupçon qui pervertit.
9782259216609Bien sûr, ce que j’écris ici vaut aussi en dehors du politique : un chroniqueur littéraire qui critique le livre de sa compagne, une journaliste sportive qui suit l’équipe de France entrainée par son compagnon, un journaliste cinéma qui chronique le film de son ami, etc. On va me dire : un journaliste amoureux-ami avec un politique doit-il cesser toute activité professionnelle ? Non. D’une part, le politique peut lui aussi décider d’abandonner son activité, il s’agit d’une décision de couple. D’autre part, l’on peut cesser d’être journaliste pour faire autre chose. Audrey Pulvar, par exemple, peut rendre sa carte de presse et être animatrice. Mais journaliste, cela implique de ne pas mélanger les genres. Comme le disait Hubert Beuve-Méry, « le journalisme, c’est le contact et la distance ».
Si cette barrière saute, pourquoi ne pas alors accepter que les journalistes multiplient les ménages : un journaliste scientifique acceptant de rédiger des études pour des laboratoires pharmaceutiques, par exemple, ou votre serviteur faisant la même chose pour les institutions communautaires ? L’amour, l’amitié, l’argent : si une barrière saute, pourquoi s’arrêter en si bon chemin puisque nous sommes des êtres d’exception capable de ne pas mélanger les genres ? En réalité, c’est l’avenir de la profession de journaliste en France qui est en train de se jouer. La République de Hollande se veut irréprochable. Cela commence mal et sur une question fondamentale, celle de l’indépendance de la presse, un des piliers de la démocratie.

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