dimanche 16 septembre 2012

Montebourg - Pulvar : le soupçon juridique

 


Par RÉGIS DE CASTELNAU Avocat à la cour, FLORENCE RAULT Avocat à la cour

Le choix par le ministère des Finances de la banque Lazard, dont le directeur est Matthieu Pigasse, pour accompagner Bercy dans la constitution de la Banque publique d’investissement (BPI), a suscité force commentaires.

Engagement de campagne du président Hollande, la BPI est destinée à favoriser l’investissement productif en France.

Audrey Pulvar, compagne d’Arnaud Montebourg (nouveau ministre du Redressement productif) n’avait pu conserver son poste sur une chaîne publique, en raison du risque de «conflit d’intérêts». Elle a alors été embauchée pour prendre la direction éditoriale des Inrockuptibles, magazine appartenant au même Pigasse, provoquant des commentaires assassins sur les raisons de cette embauche : compétences avérées ou proximité du pouvoir ? Et des ricanements sur la «pipolisation» du couple, et le retour de la gauche caviar dont Pigasse constitue pour certains un spectaculaire représentant.

Plus gênante fut l’information selon laquelle la banque du golden boy, avait été choisie pour la création de la BPI.
La proximité directe ou indirecte de Montebourg, ministre concerné au premier chef par la création et le fonctionnement de ce nouvel organisme, avec le dirigeant de Lazard suscitant interrogations et réserves. Certaines voix se sont étonnées de ce choix, allant jusqu’à prétendre qu’il était la contrepartie de l’embauche d’Audrey Pulvar.
Psychodrame, réactions outrées de la journaliste et du ministre, bisbilles entre Moscovici et Montebourg, nouvelle contrariété pour le chef de l’Etat. Classique. Avec, ici et là, un peu de joie mauvaise devant l’embarras courroucé du chevalier blanc autoproclamé. Audrey Pulvar nous a dit qu’elle n’avait pas commis de «trafic d’influence». Arnaud Montebourg, s’en remettant au verbe, fut-il invraisemblable, qu’il ne connaissait pas Matthieu Pigasse, que ce n’était pas lui qui avait choisi, et qu’il était contre. Pierre Moscovici que la procédure de choix avait été régulière. On rappellera aussi que le respect formel d’une procédure d’achat public ne garantit pas l’absence d’infraction.

Mais, le problème n’est plus là et il existe aujourd’hui un risque juridique sérieux. Le «conflit d’intérêts», concept déontologique, n’est pas directement une infraction pénale. En revanche le code a bien prévu une infraction qui permet de sanctionner le mélange intérêt public et intérêt privé. Punie de cinq ans d’emprisonnement, c’est la «prise illégale d’intérêts» prévue et réprimée par l’article L 432-12 du code pénal. Le nouveau code promulgué en 1994 a repris, pour l’élargir et l’aggraver, l’ancienne infraction d’ingérence.
Que réprime le texte ? Le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique de mélanger les casquettes en suivant une affaire dans laquelle elle aurait un intérêt quelconque, direct ou indirect, qu’il soit matériel ou moral.
Il s’agit d’éviter que la «décision publique» puisse encourir le soupçon de ne pas avoir été prise pour de purs motifs d’intérêt général. Tout élément pouvant permettre de soupçonner une «pollution» par des motifs d’intérêt privé, doit être écarté. Le texte sanctionne, non pas des faits, mais une situation.

Pour qu’il y ait «prise illégale d’intérêts», trois conditions doivent être réunies :
a) l’auteur principal doit être un agent public - ce qu’est un ministre ;
b) il doit avoir «la surveillance et l’administration de l’affaire» - Arnaud Montebourg a, et aura la surveillance et l’administration du montage, de la création et du fonctionnement de la BPI : décisions, avis, orientations, jugement du travail effectué par la banque de Matthieu Pigasse, affirmer le contraire, ne serait pas très sérieux ;
c) il faut qu’il possède et conserve un intérêt privé direct ou indirect, matériel ou moral, dans l’affaire dont il a la surveillance et l’administration.

Selon la Cour de cassation, les relations de famille, ou assimilées, relèvent de cette catégorie. L’embauche récente et l’emploi de Mme Pulvar, compagne du ministre, par Matthieu Pigasse créent «l’intérêt quelconque» prévu par le texte.

Il n’y a manifestement pas eu de malversations. Juste désinvolture et imprudence. Mais la situation ne peut pas rester en l’état. La création et le fonctionnement de la BPI ne peuvent souffrir un tel soupçon et le ministre être exposé à tout moment à une saisine de la justice. Demandez leur avis à Eric Woerth et à son épouse.

Trois solutions sont possibles :
-  L’Etat peut résilier le marché mais il faudra indemniser Lazard ;
-  Audrey Pulvar démissionne des Inrockuptibles ;
-  Enfin, Montebourg abandonne ses fonctions. Lequel des deux devrait se sacrifier et renoncer à son emploi ?

Les féministes pourraient considérer qu’il n’y a aucune raison pour que ce soit Pulvar.

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