lundi 8 octobre 2012

Progression d'Ansar al-Sharia face au recul d'al-Qaida ou les 2 faces d'une meme pièce !

 

Du Maroc au Yémen, plusieurs groupes salafistes se regroupent autour de ce que les analystes pensent être le nouveau visage idéologique d'al-Qaida.


                          [AFP/Abdullah Doma] Une brigade libyenne se faisant appeler Ansar al-Sharia a été accusée par les habitants de Benghazi de l'attaque terroriste contre le consulat des Etats-Unis.
Une brigade libyenne se faisant appeler Ansar al-Sharia a été accusée par les habitants de Benghazi de l'attaque terroriste contre le consulat des Etats-Unis.

Dans l'espace de liberté créé par les révolutions du Printemps arabe, les islamistes radicaux mettent en place de nouveaux groupes chargés de faire avancer leurs idées.

A l'avant-garde de la poussée salafiste en Tunisie, en Libye et au Yémen se trouvent plusieurs groupes réunis sous l'étendard de "Ansar al-Sharia". Au départ, de nombreux analystes pensaient que ces groupes étaient une tentative lancée par la mouvance salafiste pour s'adapter à une nouvelle situation, et qu'ils renonceraient en fin de compte à l'idéologie djihadiste violente.

Mais, comme l'explique le chercheur marocain Abdellah Rami, ces groupes d'Ansar al-Sharia constituent aujourd'hui "la face idéologique, le réservoir humain et le bailleur de fonds du bras armé, al-Qaida". Magharebia a rencontré Rami, politologue au Centre marocain des sciences sociales spécialisé dans les groupes islamiques, pour parler de ce nouveau phénomène et de ses perspectives.

Interview par Mawassi Lahcen pour Magharebia à Casablanca

Magharebia : Estimez-vous que l'apparition d'un certain nombre de nouveaux groupes salafistes se faisant appeler Ansar al-Sharia est seulement une coïncidence, ou cela s'inscrit-il dans un plan plus vaste ?

Abdellah Rami : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une coïncidence. C'est bel et bien le résultat de concertations et d'un plan destiné à réadapter le courant salafiste djihadiste aux nouvelles conditions créées par les révolutions du Printemps arabe dans la région.

Cela est confirmé par de nombreux indicateurs, notamment les rencontres qui ont été organisées, et les leaders à l'origine de ces initiatives, qui sont pour l'essentiel des symboles du djihad qui possèdent une histoire djihadiste en Afghanistan et ailleurs.

Quant au nom, je pense qu'il répond à la volonté d'Oussama ben Laden affichée avant sa mort, dans laquelle il demandait à son groupe de changer le nom d'al-Qaida et d'en choisir un nouveau proche de la conscience des Musulmans. Il semble que le nom d'Ansar al-Sharia réponde parfaitement à cette visée, du fait de sa nature symbolique et de son fort impact sur les sentiments religieux de la société musulmane. Par conséquent, ce nom n'a pas été choisi au hasard, mais est le résultat d'un plan et d'un consensus. Il a été retenu en raison de sa forte signification et de sa symbolique.
Mais il faut également souligner que ce nom en lui-même n'est pas nouveau, et qu'Abou Hamza al-Masri, actuellement emprisonné en Grande-Bretagne et recherché au Yémen et aux Etats-Unis dans le cadre de crimes terroristes, avait déjà baptisé ainsi le groupe qu'il avait fondé à Londres après son retour d'Afghanistan en 1994. Abou Hamza voulait faire d'Ansar al-Sharia une organisation mondiale ayant des ramifications dans de nombreux pays.
 

                                    [Mawassi Lahcen] "Les groupes d'Ansar al-Sharia et al-Qaida sont les deux faces d'une même pièce", explique le chercheur marocain Abdellah Rami.                                                          [Mawassi Lahcen] "Les groupes d'Ansar al-Sharia et al-Qaida sont les deux faces d'une même pièce", explique le chercheur marocain Abdellah Rami.

Magharebia : S'agit-il seulement d'une nouvelle marque de fabrique pour al-Qaida, comme le suggérait ben Laden, ou ces nouveaux groupes sont-ils le signe d'une rupture entre les salafistes et la nébuleuse terroriste mondiale ?

Rami : Non, il n'y a pas rupture. A mon sens, Ansar al-Sharia et al-Qaida sont les deux faces d'une même pièce. Ansar al-Sharia représente une menace qui évolue, dans la mesure où il s'agit d'une extension de la dawa (le prêche) d'al-Qaida. Je veux dire qu'il s'inscrit dans le cadre de ce que nous pouvons considérer comme une refonte des relations entre le salafisme djihadiste et les sociétés musulmanes.

La tendance absolue d'al-Qaida à dépendre totalement de la violence et de l'action armée a conduit à sa récession et à sa détérioration.
A
nsar al-Sharia est venu au bon moment pour remédier à cette restriction et à l'isolement dont souffre aujourd'hui al-Qaida. Il est la manifestation de la volonté de ben Laden, dans laquelle il appelait ses partisans à réfléchir à un nouveau nom pour l'organisation, qui lui permettrait de faire son retour dans la société sous un nouveau visage mieux accepté par les masses, sans toutefois renoncer à l'idéologie salafiste djihadiste, c'est-à-dire sans procéder à aucune révision idéologique.

Magharebia : Quelles sont les raisons de la baisse du soutien à al-Qaida ?

Rami : La principale raison est que les médias ont cessé d'assurer la promotion d'al-Qaida, avant que ne s'applique le siège militaire et sécuritaire contre les structures et les symboles de l'organisation. A ses débuts, al-Qaida dépendait massivement de la couverture de ses opérations par les chaînes satellitaires comme principal moyen de se faire connaître, d'envoyer ses messages et de promouvoir l'organisation dans les pays musulmans, et par ce biais, elle a élargi le cercle de ses sympathisants et de ses partisans dans ces pays. A cela venait naturellement s'ajouter le rôle joué par la littérature al-Qaidienne sur l'internet.

Mais les coups portés à l'organisation, le fait que l'étau militaire, sécuritaire et médiatique s'est resserré autour d'elle, et la baisse de ses opérations ont contraint l'organisation centrale à se faire plus discrète dès 2005 ; en conséquence, le cercle des sympathisants et des partisans est devenu plus actif qu'al-Qaida elle-même.

Au vu de cette situation, ses leaders ont réfléchi à la nécessité de créer une nouvelle formule pour l'organisation, en s'appuyant sur la dawa comme moyen de s'étendre, d'infiltrer la société et d'y consolider ses racines en utilisant les tribunes, le travail social et charitable, proches des populations.

Le Printemps arabe a fortement contribué à ce changement, en donnant aux groupes salafistes une plus grande marge de manoeuvre dans le cadre du développement de la liberté après que les sociétés de la région se furent débarrassées de la poigne sécuritaire des anciennes dictatures.

                                         [AFP/Abdullah Doma] Des milliers de Tunisiens ont assisté au second congrès d'Ansar al-Sharia à Kairouan en début d'année.                                     Des milliers de Tunisiens ont assisté au second congrès d'Ansar al-Sharia à Kairouan en début d'année.
Magharebia : Quelle est la nature des liens entre al-Qaida et Ansar al-Sharia ? Existe-t-il des relations organisationnelles entre les leaders centraux ?

Rami : Le principal lien entre les deux est la compatibilité idéologique. Les groupes d'Ansar al-Sharia partagent la même idéologie qu'al-Qaida, et tous affirment leur loyauté au commandement d'al-Qaida au Waziristan, bien qu'il n'existe aucun lien organisationnel.

Cela est clair, comme le montre le cas du Yémen, où al-Qaida est présente aux côtés d'Ansar al-Sharia. En réalité, les deux organisations sont similaires et très proches, mais elles n'opèrent pas dans le même cadre. Pour résumer, on peut dire qu'Ansar al-Sharia représente le bras idéologique structuré du large courant du salafisme djihadiste, tandis qu'al-Qaida est son bras militaire armé. En d'autres termes, Ansar al-Sharia est la face idéologique, le réservoir humain et le bailleur de fonds du bras armé, al-Qaida.

Magharebia : Quelles sont les perspectives politiques pour Ansar al-Sharia ?

Rami : Le système politique que ces groupes promettent de mettre en place est un califat de type taliban par le biais du djihad. La logique salafiste rejette tous les aspects de la politique et de la règle civiles. Ansar al-Sharia ne peut accepter la démocratie, parce que la démocratie peut porter une femme au pouvoir, mais aussi un libéral ou un Chrétien ; et c'est-là une chose que les salafistes ne pourront jamais accepter.

Ils n'accepteront rien d'autre que la règle de la sharia, et de leur point de vue, cette règle de la sharia est l'application d'un modèle de type taliban.

Cela peut être observé dans les régions contrôlées par les salafistes au Mali, en Somalie et au Yémen du fait de la faiblesse du gouvernement central et du caractère précaire des régimes politiques. Dans ces régions, ils agissent exactement comme un gouvernement et une administration de type taliban, utilisant la même formule, et rien d'autre.

Pour eux, le plus important est de mettre en place une police des moeurs chargée d'assurer la promotion de la vertu et la prévention du vice, puis d'incendier les magasins de cassettes vidéos et de liqueur, de séparer les hommes des femmes, d'interrompre les programmes d'enseignement, de détruire les cimetières religieux et de supprimer tous les aspects de ce qu'ils considèrent être contraire à la sharia.

Cela signifie que nous sommes face aux mêmes caractéristiques que celles du régime taliban.

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