Audrey aux Inrocks ? et pourquoi pas Valérie à Match !
En 2006
Arnaud Montebourg demandait avec force la démission de madame Borloo,
plus connu sous le nom Béatrice Schonberg, présentatrice du journal de
France 2, qui avait finalement été écartée en 2007.
Aujourd'hui, c'est différent ?
Laissons Jean Quatremer nous expliquer où est le problème.
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2012/07/une-connivence-normale-.html
Une connivence « normale »
On
l’a appris hier : Audrey Pulvar a été nommée à la tête de la rédaction
de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles, propriété, depuis 2009, du
banquier d’affaires (associé-gérant chez Lazard) Matthieu Pigasse, par
ailleurs actionnaire du Monde et de la version française du site
Huffington Post. Cette nomination n’a pas fait les gros titres de la
presse et pourtant elle pose encore une fois, au-delà de ce cas
particulier, la question des relations entre les médias et le pouvoir,
sujet de mon dernier livre (« Sexe, mensonges et médias », Tribune
Libre, Plon). Car Audrey Pulvar est la compagne d’un ministre en
exercice, en la personne d’Arnaud Montebourg, le ministre du «
redressement productif ».
France
Inter et France 2, les deux médias dans lesquelles elle officiait, ont
pris conscience qu’un journaliste ne pouvait être ainsi lié à un
politique et l’ont donc écarté de leur antenne (voir ici
le récit de mon twettclash avec Audrey Pulvar). Cela étant, le service
public, dirigé par des personnalités directement nommées par Nicolas
Sarkozy, aurait pu lui proposer une émission où ses talents (non
journalistiques) auraient pu être employés. Une autre solution aurait
été que Montebourg renonce à sa carrière politique, mais de cela il n’a
jamais été question. Matthieu Pigasse, ancien conseiller de Dominique
Strauss-Kahn lorsque celui-ci était ministre des Finances (1997-1999) et
dont l’engagement socialiste n’est pas un mystère, n’a manifestement
pas les scrupules du service public, comme le montre sa décision
d’embaucher Pulvar. Il ne s’agit pas d’un acte manqué : il y a quelques
mois, il n’a pas hésité à nommer à la tête du Huffington Post Anne
Sinclair, l’épouse de DSK et ancienne « star » du journalisme, ce qui a
été vécu par la profession comme une provocation. Certes, celle-ci s’est
depuis séparée de son mari, ce qui lui redonne une certaine liberté,
mais à l’époque de sa nomination, ce n’était pas le cas.
Le
message qu’envoie Pigasse (photo), ce nouveau « Citizen Kane » de 43
ans (qui, selon les rumeurs, serait intéressé par le rachat de
Libération et est donc susceptible de devenir un jour mon patron), est
terrible pour la presse française : il indique brutalement aux
journalistes que c’est celui qui possède l’argent qui décide et que les
questions d’indépendance et de déontologie journalistique ne
l’intéressent absolument pas. Une telle attitude désinvolte ne surprend
pas de la part d’un Serge Dassault (Le Figaro) ou d’un Martin Bouygues
(TF1), un peu plus de la part d’un homme de gauche qui veut
révolutionner le capitalisme (« Révolutions », Tribune Libre, Plon).
Que la liaison d’un journaliste et d’un politique (qu’elle soit
amoureuse, amicale ou professionnelle) pose un sérieux problème
d’indépendance est une évidence.
D’ailleurs,
Arnaud Montebourg lui-même l’a souligné en avril 2006, dans Télérama, à
propos de la liaison entre Jean-Louis Borloo, alors ministre de
l’Emploi, et de Béatrice Schönberg, journaliste à France Télévisions : «
il y a un conflit évident d’intérêts. Dans le monde politico-médiatique
actuel, ceux qui ont le pouvoir se permettent de piétiner les règles du
jeu. Il est temps que cela change ». En novembre 2010, dans
l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2,
alors que sa relation avec Audrey Pulvar, est officielle, il ne renie
pas ses propos, mais les nuances, en expliquant qu’il n’est « rien », puisque le député PS est seulement candidat à la candidature, alors que Borloo « occupait une fonction très élevée »…
Dans un entretien à Libération
(le 14 juin 2012), Audrey Pulvar estime que les liaisons entre
politique et journalistes (en fait uniquement des femmes à ma
connaissance) ne posent aucun problème : « J’ai toujours pris la
défense de mes consoeurs, j’ai toujours considéré qu’elles restaient des
journalistes indépendantes et qu’il fallait juger sur pièces. À mon
avis Arnaud Montebourg a perdu une bonne occasion de se taire ». Elle reconnaît néanmoins que la situation peut vite devenir « intenable ».
Ces conflits d’intérêts sont anciens : il suffit de rappeler qu’en
1992, les journalistes Anne Sinclair et Christine Ockrent, femmes de
ministres socialistes, n’ont pas hésité à interviewer François
Mitterrand alors président de la République. Mais il est consternant de
noter qu’en vingt ans, les choses n’ont pas véritablement évolué : outre
le Président de la République (avec Valérie Trierweiler de Paris Match
qui possède désormais un bureau et une équipe à l’Élysée), trois
ministres vivent à des journalistes (Arnaud Montebourg, Michel Sapin
avec Valérie de Senneville journaliste chargé de la justice aux Echos et
Vincent Peillon avec Nathalie Bensahel journaliste chargée de la
rubrique France au Nouvel Observateur). Or, aucune de ces journalistes
ne semble prête à abandonner son métier.
Un
journaliste ne doit garder aucune information pour lui : son travail
est de révéler à l’opinion publique ce qu’il sait (ou d’en informer sa
hiérarchie). Or, là, nous avons quatre journalistes qui sauront
énormément de choses (l’époux ou compagnon raconte, il y a les dîners à
la maison ou en ville, etc.), mais qui ne diront rien, ce qui une claire
violation de l’éthique journalistique. Et chacun de leur papier ou de
leur réaction sera évidemment lu à la lumière de leurs relations avec
ces politiques. Le fameux tweet de Trierweiler en a fait la parfaite
démonstration : la parole de la compagne du Président de la République
pèse d’un poids particulier. Qu’elle écrive sur des questions non
politiques ne change rien à l’affaire : si demain les musées nationaux
achètent des tableaux d’un artiste dont Trierweiler aura dit du bien, ou
si le service public invite un auteur dont elle vante le génie, que
pensera-t-on tout à fait légitimement ? Prenons aussi le cas de
Senneville qui écrit sur la justice, un domaine qui n’est pas celui de
son mari : imaginons qu’elle ait un scoop sur la ministre de la Justice
qui va déstabiliser le gouvernement. Va-t-elle le publier sans en parler
à son époux ? Celui-ci ne va-t-il pas chercher à la convaincre de ne
rien écrire ? Je crois même qu’on n’ira pas jusque-là : l’autocensure
jouera à plein. Pas question de mettre en péril le travail de son cher
et tendre…
De
plus, croire que les journalistes sont des êtres d’exceptions capables
de séparer leur profession de leurs affects ou de leurs intérêts est une
vaste plaisanterie. Le Point s’est livré, dans son édition du 21 juin
dernier à un exercice salutaire : l’hebdomadaire a relu les articles
écrits par Trierweiler dans Paris Match, entre 2004 et 2006, alors
qu’elle entretenait déjà une relation –longtemps demeurée secrète avant
d’être couverte par l’omerta journalistique jusqu’en juin 2007 - avec
François Hollande tout en couvrant… le PS (elle en sera déchargée fin
2006, ce qui lui évitera de suivre la campagne de Ségolène Royal). C’est
édifiant. Dès 2004, Hollande est peint sous les traits d’un homme qui a
l’étoffe d’un président de la République « normal », contrairement à
son épouse (qui pourtant se présentera en 2007). Ses adversaires au sein
de l’appareil socialiste seront systématiquement dépréciés et le nom de
Royal régulièrement passé sous silence… Il vaut mieux, car lorsqu’elle
en parlait, ce n’était guère sympathique, on s’en doute.
Il
ne s'agit pas de dire que ces journalistes qui protestent de leur bonne
foi mentent nécessairement : le conflit d'intérêts ne doit pas
forcément se matérialiser pour exister, il suffit qu'il y ait un risque,
une possibilité d'une confusion des genres, et que les tiers puissent
soupçonner qu'il existe. C'est, par exemple, pour cela, que les
professions juridiques sont soumis à un ensemble de règles très strictes
pour éliminer tout soupçon. Car, c'est le soupçon qui pervertit.
Bien
sûr, ce que j’écris ici vaut aussi en dehors du politique : un
chroniqueur littéraire qui critique le livre de sa compagne, une
journaliste sportive qui suit l’équipe de France entrainée par son
compagnon, un journaliste cinéma qui chronique le film de son ami, etc.
On va me dire : un journaliste amoureux-ami avec un politique doit-il
cesser toute activité professionnelle ? Non. D’une part, le politique
peut lui aussi décider d’abandonner son activité, il s’agit d’une
décision de couple. D’autre part, l’on peut cesser d’être journaliste
pour faire autre chose. Audrey Pulvar, par exemple, peut rendre sa carte
de presse et être animatrice. Mais journaliste, cela implique de ne pas
mélanger les genres. Comme le disait Hubert Beuve-Méry, « le journalisme, c’est le contact et la distance ».
Si
cette barrière saute, pourquoi ne pas alors accepter que les
journalistes multiplient les ménages : un journaliste scientifique
acceptant de rédiger des études pour des laboratoires pharmaceutiques,
par exemple, ou votre serviteur faisant la même chose pour les
institutions communautaires ? L’amour, l’amitié, l’argent : si une
barrière saute, pourquoi s’arrêter en si bon chemin puisque nous sommes
des êtres d’exception capable de ne pas mélanger les genres ? En
réalité, c’est l’avenir de la profession de journaliste en France qui
est en train de se jouer. La République de Hollande se veut
irréprochable. Cela commence mal et sur une question fondamentale, celle
de l’indépendance de la presse, un des piliers de la démocratie.
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